Le théorème du nid d'abeille, c'est quoi ? « Le pavage hexagonal régulier est la partition du plan en surfaces égales ayant le plus petit périmètre ». Son appellation provient de la proximité avec l'observation des rayons d'abeilles, on aurait tout aussi bien pu l'appeler le théorème du nid de guêpe ou théorème des coulées basaltiques. Celui qui l'a appelé ainsi a eu une idée lourde de conséquences car sans résolution de ce théorème par les humains de l'époque l'appellation laissait à penser que les abeilles elles au moins l'avaient résolu et mis en application... Surtout
c'est oublier que les abeilles ne réalisent pas un pavage... mais un
maillage et ce n'est pas la même chose. La "surface périmètrique" des
alvéoles hexagonales est de 0,40 mm2 et cela donnerait une valeur de
0,43 mm2 si elles étaient réalisées avec 4 côtés (carrés), pas de quoi
fouetter un chat... Pour l'exemple un rayon de miel
pourvu uniquement d'alvéoles tétragonales (carrées) qui serait fabriqué
avec des parois en cire plus fines de 10 pour 100 (1/22ème de
millimètre au lieu de 1/20ème de millimètre) consommerait moins de
matériau que les bâtisses hexagonales actuelles des
abeilles... mais si, mais si.
Pourquoi les abeilles édifient-elles des alvéoles hexagonales ? Posée ainsi cette question semble appeler une réponse simple, elle a d'ailleurs maintes fois été « résolue » par le passé, philosophes, mathématiciens et éthologues ayant souvent consacré d'importantes études sur le sujet. Un certain nombre de savants se sont intéressés aux propriétés mathématiques et géométriques de l'hexagone. Pour ne pas faire de jaloux je les place par ordre alphabétique : Armbruster, Busson, Carl Friedrich Gauss, D'Arcy Thompson, Darchen, Darwin, Dawson, Dittrich, Fontenelle, Galileo Galilei, H. Martin, Huber, Jean-Henri Fabre, Karl von frisch, Kepler, Klügel, Lau, Martin Lindauer, Meyer, Meretz, Mitschell, Muellenhoffs, Netter, Pappus d'Alexandrie, Platon, Réaumur, Smith, Toth,Vogt, Ulrich, Vizier, Vuillaum, Waterhouse, Woodhead, Zénodore de Sicile, … (Bon j'ai fait des jaloux du fait même que j'en ai oublié...). Tout ce beau monde est tombé d'accord pour dire que les abeilles réalisaient un très beau travail, mais est-il possible de déterminer ce qui conduit les abeilles à réaliser des alvéoles hexagonales ? Une trame hexagonale est la solution qui s'impose si l'on a pour objectif de réaliser une économie de matière. On appelle cela le théorème du nid d'abeilles, théorème particulièrement ardu à résoudre, celui-ci n'ayant reçu sa validation par une brillante démonstration mathématique que tout récemment - en 1999 - par Thomas C. Hales. On peut constater à ce stade que nos savants ne se sont pas pour autant accordés sur la manière dont la solution vient à s'imposer et sur le fait que peut-être - mais peut-être pas - quelqu'un -mais qui ? - aurait un objectif à réaliser... pas tous d'accord non plus sur le fait que ces alvéoles hexagonales aient un rapport avec une question d'économie de matériau de construction... ça se complique sérieusement ! Deux grands courants de pensée se confrontent :
Le nid édifié par les abeilles est comme une sorte de prolongement physique de ces abeilles. Rayons de cire et abeilles sont intimement liés, l'un ne peut exister sans l'autre, ils sont issus d'un même processus évolutif. Une interaction très puissante lie les abeilles et leurs constructions, elle va bien au-delà d'une simple notion d'économie de matériaux. Songez que les cirières produisent elles-mêmes le matériau constitutif de leur nid et qu'elles doivent pour cela consommer en regard du poids de cire sécrétée entre 5 et 10 fois ce poids en miel, c'est une dépense (Nb : un gaspillage?) énergétique colossale : 5 kg de miel contiennent beaucoup plus de calories que 1 kg de cire (l'abeille Mellifera n'a pas mis en œuvre des économies de moyens dans son organisation sociale à l'instar des bombus). Des travaux récents ont permis de préciser la manière dont apparaissait la trame hexagonale : Les propriétés de la cire – substance générée par l'abeille et d'une certaine manière pouvant être vue comme une partie d'elle même – sont déterminantes dans l'édification du maillage hexagonal. La cire est un matériau qui a les propriétés d'un liquide - à basse température elle est simplement « figée »-. Les abeilles ayant la capacité d'élever – volontairement - localement la température de la cire au dessus de 40°, les propriétés physiques des parois en cire s'en trouvent modifiées et des tensions mécaniques apparaissent et produisent le surgissement du maillage hexagonal. Ce phénomène se déroulant dans un continuum il peut difficilement nous apparaître clairement dans toute sa complexité et sa beauté du fait de notre position d'observateur extérieur. Il s'agit d'un phénomène qui s'auto-structure grâce à l'élaboration par les abeilles d'un matériau, au façonnage de ce matériau par les abeilles et à la modification des propriétés physiques de ce matériau au moyen d'une élévation de température réalisée par les abeilles. La conclusion des chercheurs ayant réalisé récemment ces observations : « les abeilles ne sont pour rien dans l'élaboration décisionnelle de l'hexagone » reste discutable, pour eux dès lors que l'abeille ne façonne pas directement une cellule hexagonale mais utilisent un processus physique (chaleur + tension de surface) intermédiaire, l'abeille se voit dépossédée de toute volonté de construction hexagonale régulière. Or s'il est maintenant établi que la formation hexagonale ne s'opère pas directement mais par l'intermédiaire d'un processus physico-chimique cela n'enlève pas à l'abeille la possibilité de vouloir réaliser un maillage hexagonal en maîtrisant le processus physico-chimique nécessaire à son élaboration (ce qu'elle fait d'ailleurs pour ce dernier élément). Par exemple l'abeille est parfaitement capable de réaliser une contrainte physique volontaire sur sa bâtisse en construction, notamment pour réaliser la déformation d'une portion de rayon (en formant une « chaîne d'abeilles » qui toutes ensemble tirent dessus).
Existe-t-il d'autres raisons que l'économie de matériau qui donneraient comme solution la création d'un maillage hexagonal ?
En réalité la trame hexagonale cumule plusieurs propriétés :
L'ennui c'est qu'une propriété peut facilement en occulter une autre et si une propriété apparaît plus « élégante » à nos yeux elle a tendance à s'imposer comme déterminante. Attention donc : le monde des abeilles n'est pas le nôtre, et ce qui apparaît déterminant à nos yeux d'humains ne le sera pas nécessairement pour les abeilles.
Vous êtes une abeille, vous construisez en collaboration avec vos collègues de travail un rayon en cire. Vous voulez mettre un maximum de cellules dans l'espace alloué, ces cellules doivent permettre – entre autres - de contenir les larves, nymphes et imagos. Le choix de la forme est libre et surtout peu importe la consommation de matériau.
L'abeille a t- elle trouvé dans l'édification d'une trame hexagonale – par nature économe en matériau – un avantage évolutif décisif ?
L'abeille Mellifera est aujourd'hui implantée sur une grande partie de la planète mais cela est dû essentiellement à l'importation de cette espèce par l'homme (Amérique, Asie, Nouvelle Calédonie, Australie,...). Elle est souvent présente en quantité très importante par rapport aux autres hyménoptères mais dès lors qu'elle fait l'objet d'un élevage à grande échelle, il n'est plus de comparaison possible sur le plan quantitatif avec les hyménoptères restés sauvages. L'abeille Mellifera n'a toutefois jamais évincé par sa présence les autres hyménoptères. Petite collection de nids d'hyménoptères, pour ceux-là ce n'est pas la forme hexagonale qui s'est imposée. Des hyménoptères étaient déjà présents dans toutes les parties du monde où l'homme a importé des abeilles Mellifera pour leurs qualités d'élevage et de production. Certains territoires n'ont à ce jour pas été colonisés par l'abeille Mellifera, des conditions trop rudes empêchant son maintien comme dans la zone proche du cercle polaire, une zone où certains bombus (abeilles sociales qui réalisent des alvéoles sphériques) sont tout à fait à l'aise. On peut s'interroger : sans l'élevage réalisé par l'homme l'abeille Mellifera parviendrait-elle à survivre à l'état sauvage sur notre territoire aujourd'hui ? Peut-être pas...
Dans la nature où trouve-t-on la forme hexagonale et pour quelles raisons ? De très nombreux exemples existent comme certaines coulées de lave refroidies, une structure de nuages au pôle nord de Saturne, certaines écailles de tortue ou d'ananas, mais aussi chez certains cristaux (Flocons de neige,...), coraux, dans les bulles, les facettes de certains yeux composés...
Parfois c'est la structure atomique qui induit cette émergence (comme dans le cas des flocons ou des cristaux), parfois ce sont les contraintes environnementales (espace restreint et tension de surface dans le cas des bulles) et ces contraintes environnementales s'exercent en fait déjà probablement au niveau de la structure atomique. Le cas de la tortue est intéressant car voilà un autre animal qui a « recourt » à la forme hexagonale, y trouve-t-elle un avantage évolutif et est-ce le résultat d'un processus conscient chez elle ?
Des utilisations de la forme hexagonale par l'homme ? En architecture on l'utilise pour ses propriétés esthétiques et/ou mécaniques. En design pour ces caractéristiques visuelles.
Dès lors qu'il s'agit de couvrir des surfaces avec une forme unique et répétitive le carrelage en forme d'hexagone est parfois utilisé. Dans l'industrie, pour des raisons diverses et variées on le retrouve dans la forme des têtes de boulons, les clefs Allen, certains grillages, crayons, mais aussi les plaques de cire gaufrée (pour les abeilles et c'est un comble ! Et même un honeycomb), dans certains emballages pour stocker des formes sphériques...
L'abeille Mellifera est-elle le seul hyménoptère à avoir « adopté » la construction de rayons avec une trame hexagonale ? En France certaines espèces de vespidées fabriquent des rayons avec une trame hexagonale. - Le frelon Européen et certaines guêpes utilisent des particules de bois en décomposition comme matériau constitutif de leurs nids. Le nid est de couleur brun/marron.
- Le frelon Asiatique prélève dans son environnement des particules de bois encore solide, le nid est de couleur grise.
- Les guêpes polistes utilisent des lambeaux de brins d'herbe ce qui produit un nid particulièrement solide car parcouru par un réseau de fibres.
Tous réalisent des rayons horizontaux pourvus de cellules d'un seul côté, orientées vers le bas. Bien que l'abeille Mellifera et les vespidées soient deux lignées évolutives différentes (l'abeille est sur le plan génétique plus proche des formidées) on peut observer que la solution qui s'est imposée chez les hyménoptères pour la construction de cellules placées dans un espace restreint ce sont des rayons plats, parallèles, avec des cellules de formes hexagonales. Diffèrent le positionnement des rayons, l'utilisation bi-face pour l'abeille Mellifera, et surtout le matériau de construction. Notez également que la construction est réalisée par un groupe d'individus pour l'abeille Mellifera alors que chez les vespidées au tout début de l'élaboration du nid, un seul individu (la fondatrice) réalise le premier rayon, avec des cellules hexagonales, tout au moins au centre du rayon, les parois étant nettement arrondies sur le pourtour de la construction.
« Construction en Nid d'abeilles », qu'est-ce que c'est ? Ce terme fait parfois référence à l'utilisation de la trame hexagonale en deux dimensions. Il n'apparaît pas bien adapté dans ce cas car la structure des rayons s'apparente à un agencement de tubes accolés. Complétée de la paroi médiane et des opercules elle est remarquable pour ses capacités de résistance mécanique. Un rayon de cire peut contenir jusqu'à 1320 fois son propre poids. Cette construction alvéolaire aux propriétés si remarquables devrait être vue comme la définition précise de la construction en nid d'abeilles.
La construction des alvéoles est-elle véritablement un optimum d'économie de cire ? Même si on s'en approche bigrement, en furetant un peu on constatera que le bourrelet de cire constituant le renfort à la sortie des « tubes hexagonaux » met à mal cette croyance car il est fabriqué avec une quantité de cire non négligeable (des chercheurs ont mesuré la valeur de ce stockage à 30% du poids total d'une alvéole!). La quantité de cire utilisée est directement proportionnelle à
l'épaisseur des parois, avec un matériau (cire) aux qualités de
résistance améliorée et des abeilles capables de façonner des parois
plus fines il y aurait besoin de moins de cire. En observant également le fond des alvéoles réalisées avec trois pentes rhombiques – merveille de géométrie - on peut être surpris de savoir qu'il existe une autre forme (calculée par Toth en 1969) un tantinet plus économe, elle est formée de deux hexagones et deux losanges et permettrait aux abeilles de réaliser une économie de 0,35 % de cire par rapport à la forme qu'elles réalisent actuellement... vont-t-elles évoluer progressivement vers cette solution plus optimum (Pléonasme) ?
Les abeilles Mellifera construisent-elles uniquement des alvéoles hexagonales ? Euh... en fait pas vraiment, il existe 6 espèces de cellules différentes façonnées par les abeilles : les cellules d'ouvrières (diamètre 5,37 mm), de mâles (diamètre 6,91 mm), de reines (rondes), intermédiaires (irrégulières), de colmatage (irrégulières et trop petites pour permettre l'entrée d'une abeille), closes (irrégulières et condamnées). Dès lors que l'on procède à des mesures précises on peut s'apercevoir qu'il existe des variations de l'ordre de quelques degrés dans l'édification des cellules « régulières » d'ouvrières ou de mâles, variations également dans l'épaisseur des parois (épaisseur moyenne un vingtième de millimètre). Pour des alvéoles d'ouvrières on trouvera des différences de densité par surface en fonction des différentes lignées d'apis Mellifera, variations entre 760 et 875 cellules par décimètres carrés. La régularité n'est qu'apparente... Comme
les photos peuvent
en témoigner, pour ce qui concerne les alvéoles de reines elles
sont façonnées en forme de tubes ronds et les exemples ne manquent
pas pour observer des formes diverses dues principalement à des
contraintes survenues au moment de l'édification de l'ouvrage. On
remarquera également le bord nettement arrondi des cellules proches des
bords de la construction. Les observations doivent être réalisées en absence de cire gaufrée, en laissant les abeilles bâtirent librement. Certaines portions des rayons sont construites régulièrement mais entre elles c'est l'anarchie : des cellules intermédiaires, de colmatage et closes sont édifiées.
Cellule patatoïde. Les
différents groupes d'abeilles "batisseuses" ont réalisé des portions
de
rayons parfaitement régulières qui se rejoignent par des constructions
très dissemblables.
Cellule de colmatage, les abeilles n'y peuvent pas pénétrer. Cellule tetragonale.
Cellule pentagonale.
Cellule heptagonale.
Cellule pentagonale. Cellule bizarroïde. Cellules de colmatage. Cellule tetragonale. Cellule de colmatage. Cellule de reine, ronde. En bordure les cellules sont nettement arrondies ou bizarroïdes car encore indéfinies, elles vont être remaniées.
Épilogue Nous sommes peut-être en présence d'un nœud gordien et dans ce cas il nous faut probablement nous contenter de certitudes attaquables car il ne me semble pas que la stigmergie permette de résoudre de manière totalement satisfaisante notre problème, on ne peut réduire l'ensemble des interactions de la « société abeille » à cette notion d'auto-organisation d'organismes « simples » façonnant leur environnement. Trop simple. Prendre du recul en explorant les rapports entre les mathématiques, la physique et la géométrie, comprendre que les mathématiques permettent la compréhension d'une observation mais n'en sont que rarement les instigateurs... Le monde dans lequel nous sommes est le résultat d'un processus évolutif non achevé et à ce stade de l'évolution les rayons de cire des abeilles Mellifera sont pourvus d'alvéoles hexagonales. Il nous est difficile d'imaginer que des animaux possédant un cerveau, des insectes finalement si mystérieux n'aient pas participé d'une manière « consciente » à la situation actuelle : la confection de cellules hexagonales incroyablement belles et régulières. Pas facile d'admettre que les merveilleuses pièces que bâtissent les abeilles puissent être le résultat d'un travail collectif dont les abeilles ne sont qu'un des acteurs, les autres étant les lois physiques... Finalement les
abeilles ne
sont ni des génies mathématiques, ni des robots préprogrammés,
simplement des insectes qui font de leur mieux pour loger un maximum
de cellules dans un minimum de place. Voilà une bien modeste
proposition de résolution de notre énigme, mais de mon point de vue les
abeilles n'en sont que plus attachantes.
Des chaînes d'abeilles cirières, elles sont décidemment très "attachantes"... |