> petites et grandes histoires > exposé introspectif d'une exploitation apicole Picto Charentaise


Exposé sur les évolutions d'une exploitation apicole.

Il s'agit d'une nouvelle version d'un article paru dans l'excellente revue de l'ANERCEA : INFO REINES.

Avec l'aimable autorisation de l'auteur.


De l’utilité de réorienter une exploitation pour l’adapter

au nouveau contexte apicole

 

Après 15 ans d’une première vie professionnelle comme menuisier notre apiculteur picto charentais cherche à se reconvertir dans un métier où il sera autonome. Fils de paysan, ornithologue, il est depuis toujours passionné de nature. Il découvre l’apiculture avec un ami puis entre à Laval en 1986. Formation décisive tant par la qualité de l’enseignement que dispensent de grands connaisseurs de l’apiculture professionnelle, que par les visites marquantes (comme celle de l’exploitation de Joseph Houtin). Les amitiés nouées dans ce vivier porteur resteront sources d’échanges jamais interrompus. Après un stage, l’élevage de reines (sélection massale majoritaire) est pratiqué dans le but exclusif de produire les cellules introduites dans les essaims. Production d’essaims, très marginale qui n’a d’autre but que de renforcer les ruches affaiblies par l’essaimage ou de remplacer les disparues. L’achat régulier de souches (noire ou caucasienne) pallie aux risques de consanguinité. La variété des miellées régulières et la persistance d’un biotope assez riche évite le recours aux produits de nourissement. Le travail à la ruche est plutôt intensif avant tout par goût. Les transhumances sont de faibles ampleurs (50 km).  Les investissements et les frais en général sont  limités au maximum. Pas de chaîne d’extraction, pas de grue, le camion plateau acheté en 1995 est encore opérationnel et un véhicule léger autant que rustique suffit aux simples visites. L’embauche de personnel temporaire et l’entraide sont des occasions d’échanges que ce travail en solitaire rend précieuses.

Parallèlement il s’investit beaucoup dans l’éducation de ses enfants, construit en partie une nouvelle maison, transforme la première en gîte, édifie ses bâtiments d’exploitation, fabrique évidemment toutes ses ruches. Et la famille part même en vacances en juin. On croit rêver ! Une époque révolue !

Après quelques années de montée en puissance suivent quinze ans sans réels problèmes dans une zone de grande culture particulièrement propice à de forts rendements en l’absence de problèmes sanitaires notables. Il exploite seul une moyenne de 370 ruches qui produiront jusqu’à 29 tonnes. Autant dire que l’urgence est plus alors à la pose de hausses qu’au remérage. 80% de la récolte est obtenue sur le tournesol auquel s’ajoute le colza et un peu de forêt... En inter miellée acacias, tilleuls, lotiers et ronces assurent la survie sans procurer une véritable récolte. 2008 et 2009 seront les dernières années de productions satisfaisantes.

A partir de cette date les résultats des miellées évoluent de manière totalement opposées. La récolte de colza égale, voire dépasse, celle du tournesol et la moyenne chute de 20kg  alors que la charge de travail augmente considérablement ; il faut maintenant traquer sans fin les ruches « qui ne tournent pas ».

En 2010 l’épouse de  notre apiculteur revient sur l’exploitation et pour un nombre de ruches en baisse régulière la main-d’œuvre double et les journées s’allongent. Même si les prix compensent la chute des récoltes, il ne saurait être question de vivre au passé.  Il est temps de s’ouvrir pour voir comment, ailleurs, on fait face à la situation. Ils adhérent à l’ANERCEA conscients de devoir maîtriser parfaitement l’élevage pour disposer en permanence de reines jeunes. Par ailleurs la fatigue devenant difficile à gérer, il est temps d’inventer un nouveau mode d’exploitation. Et voilà comment à 60 et 55 ans on se retrouve dans la peau de jeunes débutants. L’objectif est d’adapter le cheptel à la force (déclinante) de travail disponible, de diminuer fortement le nombre de ruches pour se stabiliser à 200 (2015), d’augmenter le nombre d’essaims pour en développer un peu la vente, de suivre d’encore plus près le cheptel jusqu’à bannir les non valeurs toujours sans recours au nourrissement qui entraine surcroît de travail et frais.



Après avoir fait le constat d’une nécessaire réorientation, la décision a été prise de revoir totalement le mode d’exploitation.

 

Premier outil mis en place : les  nucs.

L’objectif est de parvenir à renouveler environ la moitié des reines chaque année sans trop pénaliser la production. Durant les 3 dernières années le couple apprend à maitriser la technique et augmente progressivement le nombre de nucs pour atteindre les 80 à 90 nucs qui permettront le remérage d’un nombre égal de ruches en partie à la visite d’automne puis à l’issue de la visite de printemps.  Les reines produites de mai à juin devant si possible être réservées  aux essaims dont le nombre augmente aussi régulièrement. En 2012, une cinquantaine de haussettes sont montées sur plateau amovibles. Elles sont peuplées à partir des meilleures ruches conduites à pondre en hausse. Après ce premier été de tâtonnements, 10 reines buckfast sont achetées en septembre à Sophie Dugué. Elles seront les populations magasins destinées à peupler et renforcer les nucs tout au long de la saison. Le greffage s’opère sur la ponte de reines inséminées caucasiennes ou noires. Pour poursuivre sans nourrissement il faut rester sur des ruches point trop gourmandes et aptes à constituer leurs provisions. Les fécondations sont totalement incontrôlées ce qui est bien évidemment peu satisfaisant.  En 2013, 60 nucs sont en activité (10 mini plus, 50 haussettes). Les premières cellules sont introduites tardivement (10 mai) et les dernières à la mi juillet. Les nucs les plus longtemps en activité ont produit 3 reines mais ils restent trop rares. Une vingtaine de reines sont introduites en septembre dans les colonies affaiblies après tournesol. Les nucs sont ensuite regroupés deux à deux avec une reine buckfast achetée cette fois à Laurent Dugué.


En 2014 les premières introductions de cellules dans les nucs datent du 19 avril (grand progrès auquel la météo n’est pas étrangère), pour des reines mises en ruches du 20 mai au 26 juin (trop tard). Le nombre de nucs est de 80 dont 30 mini plus sur cadre hoffman. Ceux qui ont reçu les premières cellules ont élevé jusqu’à 4 reines. Le taux de reines prélevés par rapport aux cellules introduites  avoisine  70%.

Ces reines (marquées clippées) sont introduites de la manière suivante. Elles sont enfermées dans une cage d’expédition Nicot avec quelques suivantes. Le  bouchon de candi est obturé. La cagette est posée sur les têtes de cadres et laissée au bon soin de la colonie dont la reine a été tuée. Si elle est introuvable (reine vierge possible) la colonie a été secouée au loin. On repasse après 48h pour ôter le scotch et la reine est alors libérée par les abeilles. Utilisée auparavant la grille sur couvain naissant donnait  un taux d’introduction réussi de 82%. Avec la cagette les 100% sont approchés avec moins de temps de travail.

La production de cellules s’arrête à la fin juillet où  le taux de réussite  faiblit faute de mâles.  En début de saison des cadres à mâles ont été placés dans de bonnes ruches (bien noires) auprès des  nucs, mais l’effort n’a pas été poursuivi toute la saison. C’est là notamment que des marges de progrès restent à trouver.

Au printemps 2014 seules quelques reines caucasiennes ou noires étaient disponibles pour les premiers remérages. En 2015,  30 reines caucasiennes hivernées dans les nucs réunis 2 à 2 seront disponibles dès les premiers élevages. Les reines des 30 nucs orphelinés ont été données aux colonies lors de la visite d’automne.  15 « magasins » en buckfast hivernent et serviront au printemps à repeupler les nucs divisés. Mais l’objectif était plus ambitieux, la fin de saison du tournesol a été difficile car la miellée était faible et irrégulière et certains nucs se sont affaiblis. Là aussi il conviendra d’être plus vigilant en 2015. En novembre néanmoins il semble que dans certains ruchers les moutardes d’inter culture aient relancé le dynamisme mais il ne faudrait pas que la douceur se prolonge trop longtemps car le recours systématique au candi deviendrait impératif. 

Les essaims :

La production d’essaims a donc été longtemps marginale avec un fort taux d’échec, faute de suivi suffisant. Ce printemps, 50 essaims dotés de 4 ou 5 cadres de couvain et de fortes populations ont été vendus. Les acheteurs les ont rapidement redivisés ou enruchés et ont obtenu du miel sur colza. Ces essaims sont constitués en fin de miellée de colza sur 2 ou 3 cadres de couvain. Deux méthodes sont utilisées : le prélèvement de couvain en s’assurant à l’œil de la non présence de la reine (marquée donc plus facilement visible) ou la pose d’une ruchette sans fond.

Cette méthode requière de revenir le lendemain matin mais assure un meilleur équilibrage des populations et évite à tout coup la prise accidentelle de la reine. Deux ou trois cadres de couvain sont secoués sur la ruche et posés dans la ruchette sans fond entourés d’un cadre de miel et d’une ou deux gaufres. La ruchette est centrée sur les cadres de couvain restant dans  la ruche au dessus d’une grille à reine, son couvre cadre obture l’emplacement découvert. Le lendemain matin de bonne heure, la ruchette est reposée sur son plateau, bouchée et emmenée puis elle reçoit une cellule protégée par un film aluminium. Tout échec (reine non née, ponte non satisfaisante) conduit à l’apport de couvain et d’une reine plutôt que d’une nouvelle cellule afin de rattraper son retard.

160 essaims ont été ainsi constitués du 16 au 30 avril sur 65% des ruches. Ils ont saturé les corps en tournesol et ont produit une moyenne de 5kg de tournesol à la ruchette. Début juin le travail sur le remérage des ruches étant presque achevé, les meilleurs essaims ont été amputés de 2 cadres  (par la méthode des ruchettes sans plateau) et une reine marquée clippée leur a été confiée. Ces derniers  essaims se sont bien développés mais certains ont ensuite marqué un temps de souffrance en août faute d’une population suffisante pour exploiter la timide fin de miellée du tournesol. Il aurait sans doute fallu palier à leur souffrance par un nourrissement dès la fin juillet. Ils ont été nourri au miel en septembre, nous saurons cet hiver si cette période de souffrance leur aura ou non été néfaste. Mi juillet un contrôle de tous les essaims a entrainé une dizaine de remérages. Le bilan est donc le suivant :

83% des essaims réalisés sur la saison sont en hivernage soit en ruchettes soit en ruches pour les plus beaux.

Tout cela pour quoi :

Voyons maintenant l’intérêt de tant de travail. Il faut bien avouer  que la chute régulière de la moyenne de production à la ruche nous fait douter de l’intérêt pour nos lecteurs du récit de notre expérience. Car enfin depuis 2010 diminuer le cheptel de 30%, augmenter la main d’œuvre, investir même modestement pour produire toujours moins, voilà qui est peu exemplaire. Pour déceler des progrès nous avons replongé dans nos données car toute visite de ruche engendre des notes reprises sur un tableau Excel. Nous avons ressorti les données brutes et tenté d’en tirer quelques enseignements dont voici les conclusions :

Jusqu’en 2013, aux mortes de l’hiver venaient périodiquement s’ajouter des ruches secouées durant la saison, il était rare de descendre en dessous des 13% de mortes en hiver auxquelles venaient s’ajouter 10% au moins de ruches secouées en saison et à l’automne. En 2014, 2 ruches bourdonneuses seulement ont été éliminées en saison et celles qui ont été démontées à l’automne avaient donné du miel et même parfois beaucoup. Si on ajoute les pertes de l’hiver 2013-2014 au taux de démontage de l’automne ont est à moins de 14% .  L’objectif est aussi de traquer les non valeurs, le bilan en ce domaine est éloquent. En 2013 encore 33% des ruches avait produit moins d’une hausse. En 2014, 2% seulement des ruches sont dans ce cas et aucune n’a rien produit du tout. On constate un resserrement des écarts à la moyenne (moyenne au rucher bien entendu). Moins d’exception et presque plus de non valeurs. En 2015 avec 200 ruches tout incident devrait en théorie être résolu avant que la colonie ne flanche véritablement. Mais attention il reste la problématique varroa, invaincu, et les hypothèques engendrées par le réchauffement climatique qui pour ce que nous en voyons ces temps ci se traduit par une activité quasi incessante fortement dommageable aux provisions hivernales.

 

Reste bien des questions à résoudre qui font qu’une nouvelle vie d’apiculteur serait nécessaire d’autant que  nous n’avons pas eu à nous les poser durant la plus grande partie de notre carrière. Il nous faut d’abord mieux maîtriser la connaissance de la génétique ce qui pour de purs littéraires n’est pas une mince affaire.

Voici en vrac les points qui nous interrogent le plus : comment dans un secteur ouvert et fortement fréquenté par les apiculteurs s’assurer d’un maximum de fécondations par des mâles de race noire plutôt que buckfast ? Quels sont réellement les avantages du clippage pratiqué depuis deux ans avec des résultats très différents. La saison 2013 était assez peu favorable à l’essaimage et il n’y a pratiquement pas eu à en déplorer. Cette année, clippées ou non, les reines ne sont pas toujours présentes à l’appel. Néanmoins le pourcentage des colonies dotées d’une reine non introduite n’est que de 18% et bien souvent la reine élevée l’a été sur le couvain d’une reine introduite qui a sans doute été refusée après ponte c’est-à-dire sans départ d’un essaim.

Autre question que celle des souches, les éleveurs de caucasiennes ne sont pas légion. Satisfaits de notre vendeur actuel nous nous inquiétons de possibles consanguinités. A partir de quel moment faire entrer du sang neuf ?

Enfin l’année assez atypique que  fut 2014 amène à réfléchir sur l’intérêt d’avoir beaucoup, voire trop de couvain, quand la miellée s’étire et est peu virulente et quand l’inter saison se fait longue. Les brusques écarts de température connus ce printemps nous amèneront cet hiver à fabriquer quelques unes des partitions chaudes vantées par Marc Guillemin. Et voilà encore des expériences à tenter en espérant que le jour reviendra où elles seront récompensées.


 

56 essaims 2013 ont été réunis à  des non valeurs en mars ou enruchées

25 essaims ont été injectés dans des ruches faibles après colza

73 reines marquées clippées ont été introduites dans les ruches de mai à juillet

270 cellules royales ou reines ont été introduites dans des essaims

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Les ruches à reines caucasiennes produisent 3.8 cadres de plus que la moyenne des ruches

Les ruches dont les reines sont issues d’une sélection massale sont à hauteur de la moyenne

Les ruches dont les reines sont issues de remérage naturel ou d’une souche d’abeilles noires produisent 1 cadre de moins que la moyenne



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